"The Chant of Jalimalu"was published in Flash Fiction Press on September 11, 2016. It is a trabslation of a story I wrote in French four years ago. Here is the original:
La lune arrosait la terre d’une lumière pale, elle ne
prétendait pas donner la vie comme le faisait l’astre dont les rayons venaient
rebondir sur elle, mais elle dissipait les ténèbres qui régnaient parfois dans
l’âme des hommes, qu’ils le veuillent ou non.
Phil regarda autour de lui, il n’avait aucun repère dans
ce paysage qu’on aurait pu qualifier de lunaire si ce n’était pour une mer de
buissons épineux éclairée par la lune qui brillait comme un phare dans la brume.
Il avait froid, il était seul et il
aurait voulu crier son désespoir, mais
aucun son ne sortait de sa bouche. Un chant s’éleva, il semblait venir
des entrailles de la terre, avait-elle entendu sa douleur ? Il se pétrifia
et bien qu’il ne comprenne pas les paroles de ce chant, son rythme résonnait en
lui et faisait vibrer chaque cellule de son corps jusqu’à en prendre
possession. Il n’avait plus qu’à se laisser guider en direction de la lune
qu’il n’avait jamais vue aussi grande. Les inflexions de ce chant mystérieux
décrivaient chaque détail du paysage, une termitière à droite, un rocher à
gauche, un baobab devant lui. Son angoisse s’envolait au fur et à mesure qu’il
avançait, il la laissa partir volontiers, il n’y était pas attaché. Un
changement de rythme annonça une dune. Il l’escalada et découvrit enfin ce que
cette chanson voulait lui montrer, un escalier de perles qui montait de la
plage jusqu’à la lune. Le rythme de la mélopée s’accéléra et poussa Phil vers
la première marche ou se trouvait un vieil homme aborigène. Il regarda Phil et
lui dit tout simplement « Bienvenue ».
À sa grande surprise, Phil ne se leva pas avec son
habituelle gueule de bois. La soirée avait été copieusement arrosée et il était
rentré au petit matin avec une jeune femme dont son nom lui échappait. Il se
rappelait vaguement qu’il finissait en a,
elle n’avait pas une tête à s’appeler Lisa, il aurait plutôt dit
Vanessa. Elle était irlandaise et faisait le tour du monde en travaillant où
elle pouvait. Il la contempla alors qu’elle se retourna dans son lit et ouvrit
les yeux. Il remarqua alors ses boucles d’oreilles avec des perles et il se rappela
son rêve avec une précision inhabituelle. Tout lui revint en une fraction de
seconde, le paysage, la lune mais surtout ce chant envoutant.
- Eh bien, tu en fais une tête, je ne pensais pas être
aussi repoussante en me réveillant !
- Non, Ce n’est pas ça, je regardais tes boucles
d’oreilles.
- Elles ne te plaisent pas ?
- Si mais je n’en n’avais jamais vu comme ça.
- Je les ai trouvées à Broome, j’ai eu du mal à choisir
tellement qu’il y en avait, c’est la spécialité locale. Tu ne connais
pas ? C’est un endroit magnifique, il y a des plages de sable blanc à
perte de vue et l’eau est à trente degrés. J’y étais au moment de la pleine
lune, c’était magique, les reflets de la lune dessinaient des escaliers sur le
sable découvert par la marée basse.
Phil s’efforça de ne pas montrer le trouble qui
s’installa en lui en changeant de sujet, il préféra garder son rêve pour lui.
Tout en discutant de tout et de rien, Il se demanda si inconsciemment il avait
remarqué ses boucles d’oreilles, avait-t-il
rêvé de sa dernière conquête alors qu’elle dormait près de lui ? Par
contre, il n’arriva pas à enlever cette chanson de sa tête, comme le refrain
d’un tube qui s’immisce en lui et qu’il a du mal à chasser. Quand elle l’invita à la fête d’anniversaire
de sa meilleure amie le samedi prochain, il accepta machinalement sans même se
demander s’il en avait vraiment envie.
Le chant était
tenace, il était devenu son compagnon de chaque instant et semblait se plaire
avec lui. Il avait essayé de le noyer en écoutant la musique qu’il utilisait
pour tromper l’ennui que lui procurait le travail de la cueillette des poires,
mais en vain. La nuit, le songe revenait, Phil se sentait comme dans un film
qui était joué en boucle et que personne ne regardait. Il n’avait pas revu
Tessa car il la tenait responsable pour le marasme dans lequel il se trouvait.
Il ne sortit plus au pub malgré les exhortations de ses amis qui ne
comprenaient pas pourquoi il s’enfermait ainsi. Son abstinence eu un effet
inattendu, l’argent qu’il gagnait resta au sec dans son compte d’épargne au
lieu de remplir le tiroir-caisse du pub. À la fin de l’automne, il se demanda comment
il aurait pu utiliser cette somme. Si elle ne pouvait pas le délivrer, il
pourrait peut-être changer d’air, cela faisait longtemps qu’il voulait aller à
Bali. Tous ses amis y étaient allés et vantaient les mérites des plages et des
boites de nuit.
Parmi les posters qui tapissaient la seule agence de
voyages de Shepparton, celui de Broome attira son regard. Tout y était, les
couchers de soleil sur l’océan indien, les chameaux transportant des touristes
le long des plages, l’escalier vers la lune que Tessa lui avait décrit et les
perles qui ornaient des bijoux étincelants. Il n’hésita pas, Bali sera toujours
là l’année prochaine, il allait soigner le mal par le mal comme il savait si
bien le faire après une bonne cuite.
Dans sa hâte de partir, il avait oublié de vérifier les
dates de pleine lune et il dû attendre dix jours avant de voir pour lui-même ce
fameux escalier. Il en profita pour découvrir toutes les attractions
touristiques : les fermes perlières, les empreintes de dinosaures sur le récif et bien sur les plages. Le chant
et le rêve étaient partis en vacances aussi, il en oublia presque l’existence
et appréciait chaque jour de liberté en se demandant s’il pourrait s’installer
ici. Il y avait des plantations de manguiers, ça l’aurait changé des
poires. Le jour enfin arrivé, il vit le
reflet de la lune tel que l’avait décrit Tessa, sans même penser à cette vision
qui l’avait hanté, il était devenu un touriste comme les autres.
Le lendemain, il fut envahi par une tristesse qu’il
n’avait pas ressentie depuis longtemps. Il avait toujours réussi à tenir à
l’écart cette mélancolie qui faisait partie de lui, avec le travail, la boisson
où les filles. Sa mère le gâtait tant qu’elle pouvait pour essayer de le
consoler. Elle sentait avoir échoué en tant que mère adoptive. Quand elle avait
appris qu’elle était stérile, elle n’avait pas hésité une seconde, elle s’était
inscrite sur la liste d’attente pour pouvoir donner tout son amour à un enfant
qu’une mère avait abandonné. Cela lui semblait incompréhensible qu’une femme
puisse commettre un tel acte et elle se sentait investie d’une mission de
réparer un mal. Quand l’assistance sociale lui avait expliqué que la maman
avait dix-sept ans et que ses parents, des catholiques d’une famille de la
haute société de Melbourne, l’avaient forcé à abandonner le fruit de son pêché,
elle avait compris que les choses n’étaient pas si simples. Elle avait été persuadée
qu’en donnant tout son amour son enfant grandirait dans le bonheur, mais la
réalité avait été autrement. Phil avait une tristesse dans les yeux, celle de
quelqu’un qui a perdu un être cher à tout jamais. Quand le jeune homme qu’il était
devenu pris conscience de la gravité de l’acte de sa génitrice, la colère pris
le dessus sur la tristesse et il décida de la chasser de son esprit à tout
jamais. Chose facile bien sûr, mais
c’était sans compter sur son corps dont chaque cellule portait la moitié de son
ADN et son âme dans laquelle était planté le germe de l’amour d’une mère dont
le cœur avait été déchiré. Quand l’un ou l’autre le rappelait à l’ordre il
trouvait toujours le moyen de faire taire leur voix lancinantes. Et c’est ce
qu’il décida de faire ce jour-là. Il sortit de sa chambre en direction du pub
pour aller noyer son chagrin quand le chant revint le tourmenter avec insistance.
Malgré lui, il ne put y résister et suivit ses directions, « á
droite », « á gauche », « tout droit ». Il fit à peine
attention au paysage, de sorte qu’il aurait eu beaucoup de mal à retrouver son
chemin. Il arriva à un gros rocher rouge, une version miniature d’Uluru qu’il
ne connaissait qu’à travers les innombrables photos qui le représentait sous
tous les angles. Une grotte était
creusée au milieu, les braises d’un feu grésillaient près de l’entrée. Guidé
par le chant, il y pénétra et lorsque ses yeux s’habituèrent à la pénombre qui
y régnait, il reconnut le vieil aborigène qu’il avait vu dans son rêve. Il vit
Phil et s’arrêta de chanter.
- Bienvenue Phil, je t’attendais.
- Qui êtes-vous ? C’est vous qui m’avez
ensorcelé ? Qu’attendez-vous de moi ?
- Mon nom est Apami. Es-tu prêt à ouvrir ton cœur et ton
esprit ?
Phil brulait d’impatience de lui poser des questions qui
étaient restées sans réponse, faute de trouver quelqu’un à qui les poser.
- Oui, mais je veux savoir ce que signifie ce que vous
m’avez fait subir.
- La réponse viendra en son temps. Une huître met toute
une vie pour produire une perle avant que l’homme la récolte pour son plaisir.
Assied-toi et écoute-moi.
Phil se demandait bien quel était le rapport mais il
comprit qu’il n’avait pas le choix, il devait se soumettre à l’autorité de ce
sorcier qui impassible, ne le quittait
pas des yeux.
- Le temps des rêves contient la mémoire de tout ce qui a
été, est et sera dans l’univers. C’est là que j’ai entendu la douleur qui est
dans ton cœur. Lorsqu'un grain de sable pénètre par accident dans une huître,
celui-ci est considéré comme un intrus, car
sa place ne s'y trouve pas. L’huître va recouvrir le grain de sable et finira
par donner une perle. Tu as pris ta
douleur pour un intrus et tu as essayé de la chasser de ton cœur mais elle s’y
est incrustée.
Le vieil homme fit une pause et le silence pris la relève
car il avait aussi des choses à dire à ceux qui savaient l’écouter et Apami
avait ce privilège. Il leva les yeux
pour contempler le ciel avec les yeux grand ouverts pour y puiser sa force et
sa sagesse. Phil ne comprenait rien à ses paroles, il était un intrus dans
cette grotte, comme un grain de sable qui était rentré dans une huître. Apami le regarda avec l’air
d’avoir lu dans ses pensées.
- Le temps est venu pour toi de devenir ce que tu dois être, c’est ainsi
que tu trouveras ta place dans le monde. Ta mère t’a porté et n’a pas pu te
garder avec elle. J’entends sa plainte, elle souffre autant que toi, mais tu es
aussi un enfant de la terre. Tu lui appartiens, tu fais partie d’elle et son
amour dépasse celui de celle qui t’a porté et de celle qui t’a élevé. Nous
sommes tous reliés les uns aux autres, les peuples de la terre, les esprits qui
séjournent dans le temps des rêves et toutes les créatures.
À chaque fois que l’homme sage faisait une pause pour
laisser Phil digérer ses paroles, le seul bruit qu’on entendait était celui de
sa respiration lente et profonde.
- Phil, écoute l’histoire du dauphin, c’est ton animal
totémique. Il y a longtemps de cela, Kwillanah était amoureux de la belle Jalimalu;
il la regardait danser sur la plage chaque matin avant de plonger pour attraper
un poisson. Un jour il trouva le courage d’aller lui parler, mais n’arriva pas
à temps. Il regarda avec effroi Bilkiran l’esprit malin qui lui aussi était
amoureux de Jalimalu l’attraper et l’emmener avec lui au fond de l’eau. Désespéré, il
plongea pour la rattraper mais en vain ; quand sa mère qui avait
assisté à la scène de loin vit un bel
animal remonter à la surface pour respirer, elle comprit que ce n’était pas un
poisson, mais que son fils s’était métamorphosé. En voyant sa mère, il poussa
un cri et elle comprit qu’il resterait ainsi tant qu’il n’aurait pas retrouvé
Jalimalu.
Phil trouva que c’était une histoire d’amour très triste,
mais ne voyait pas en quoi cela le concernait.
- Toi aussi tu cherches la femme qui a été
forcée de te quitter par des esprits malins. Mais tu ne la trouveras pas tant
que tu ne seras pas transformé.
- Mais comment faire ? Je ne peux pas me transformer
en dauphin !
Apami sourit comme un instituteur entendant une remarque
naïve d’un de ses élèves.
- En plongeant dans le puits de la connaissance qui est au
fond de toi, tu raviveras ton feu divin et tu donneras vie à ton corps
spirituel. Si tu le souhaites, je te montrerais le chemin qui te permettra
d’accéder à ce puits sacré.
- Mais pourquoi voulez-vous faire cela ?
- Je te répondrai, mais d’abord, dis-moi si tu le
souhaites.
- Oui, je le souhaite, quand est-ce que l’on
commence ?
- La première leçon sera celle de la patience. Mon peuple
n’a pas de mot pour la hâte dans sa langue. Nous laissons les choses suivre
leur cours naturel, nous savons attendre que la pluie remplisse les rivières et
arrose la terre assoiffée et que les arbres nous donnent leurs fruits. Mon
peuple a été patient, nous avons passé de nombreuses années à apprendre la
langue de l’homme blanc, á écouter ce
qu’il avait à dire et à nous instruire de ses connaissances. Maintenant nous
attendons que l’homme blanc prenne le temps de nous écouter et de nous
comprendre. Comme mon peuple, je connais la souffrance, mais je sais que l’homme
blanc à ses propres fardeaux. J’ai attendu qu’un homme blanc vienne ouvrir son
cœur et son esprit afin que j’allège sa peine. En acceptant ce que je t’offre,
tu ouvres le chemin vers la guérison de mon peuple.
Phil eut les larmes aux yeux et pour la première fois de
sa vie de jeune homme les laissa couler. La douleur d’avoir été abandonné se
mélangea à la douleur de tout le peuple aborigène qui avait tant souffert
depuis que l’homme blanc était venu les arracher à cette terre qui était d’abord
leur mère. Sa douleur se mélangeait à
celle d’Apami, comme le sang de deux hommes faisant un pacte fraternel qui les
lierait jusqu’à que la mort les sépare.
Les jours suivants, Apami continua son enseignement. Phil
apprit à aimer la terre et à la respecter ; il pensait aux arbres qui
portaient les fruits qu’il cueillait à Shepparton et remercia la terre pour sa
générosité envers les hommes. Il apprit aussi ce qu’Apami appelait le Dadirri,
une contemplation qui amène à l’écoute, non seulement extérieure mais aussi intérieure.
Il faisait taire le brouhaha de ses pensées pour pouvoir plonger au fond de
lui-même. Tel un plongeur marin, il devait faire face à des dangers car la
tristesse enfouie au fond de lui menaçait de le faire couler dans les abimes du
désespoir. Il apprit à la regarder en face plutôt que de la fuir car il comprit
qu’il ne pouvait pas s’en débarrasser. Il devait apprendre à vivre avec elle,
telle une locataire bruyante et nauséabonde que la loi lui empêchait d’expulser.
Il perdit conscience du temps qui passait et ne compta pas les jours qu’il
avait passé dans cette grotte car cela n’avait pas d’importance.
- Phil, le temps est venu de récolter la perle de la
sagesse qui s’est formée au fond de toi. Elle t’aidera à vivre en paix chez toi
parmi les tiens.
Phil au fond de lui savait que ce jour devait arriver et
s’y était préparé, mais malgré cela il avait du mal à retenir ses larmes.
- Apami, tu as donné
vie à mon corps spirituel, je te remercie d’être mon père.
- Phil, prend bien soin de ton esprit, nourrit le et fait
le grandir comme tu as appris. Il est fragile et tu dois éviter tout ce qui
peut l’étouffer.
Apami donna à Phil un médaillon de nacre dans lequel il
avait inscrits des motifs sacrés. Ce riji était le seul objet de valeur que
possédait Apami et il lui en faisait le don car il n’en aurait pas besoin là où
il devait aller.
L’avion survolait les vastes étendues que Phil avait
crues mortes et dénuées d’intérêt quand il été arrivé. Il ne se sentait plus un
intrus sur cette terre en qui il avait trouvé une mère qui ne le laissera
jamais. La mémoire de sa première mère était toujours vive dans son sang et sa
chair. Quand il pensait à elle, il
demandait où elle était, comment elle allait. Il voulait qu’elle sache qu’il
allait bien. Faute de pouvoir lui envoyer une carte, il lui envoyait ses
pensées et ses prières, Apami lui avait appris que le courrier de l’âme arrivait toujours à bon
port, sur terre comme au ciel.
Arrivé à Melbourne un jour maussade dont cette ville avait
la spécialité, il alla au refuge de femmes aborigènes dont Apami lui avait
donné l’adresse pour transmettre un message à
une femme qui y travaillait. Liz déballait des colis de donations quand il
arriva.
- Non je ne connais pas cet homme dont tu me parles, je
ne suis jamais allée à Broome non plus, c’est bien trop loin. Par contre, j’ai
l’impression de t’avoir déjà vu.
Phil s’approcha d’elle et il entendit son cœur lui dire
« C’est elle ».
- Maman ! cria-t-il en la serrant dans ses bras.
Le vieil homme entonna le chant des perles avant de
retrouver ses ancêtres au temps des rêves. C’était la dernière fois qu’il
faisait ce voyage, il pouvait partir en
paix car Bilkiran avait enfin été vaincu.